Portraits

Lê Nguyên Hoang, vulgarisateur de sciences et chercheur en informatique

(Image: Lê Nguyên Hoang)

Mathématicien, vulgarisateur scientifique et écrivain: Lê est un scientifique aux rôles multiples. Il nous raconte son quotidien et nous fait part d’un projet fascinant qui essaie d’adresser le problème de la désinformation sur internet.

Un scientifique aux multiples facettes

Lê Nguyên Hoang est un personnage du monde scientifique aux multiples facettes: il est à la fois mathématicien, vulgarisateur scientifique et écrivain. Après des études en mathématiques à l’École Polytechnique de Paris et Polytechnique Montréal, il lance en 2016 la chaîne de vulgarisation scientifique science4all sur YouTube, et publie même plusieurs livres sur des sujets scientifiques. Aujourd’hui il est employé à l’EPFL en tant que médiateur scientifique et chercheur en systèmes algorithmiques. Nous avons eu la chance de discuter avec Lê ; il nous a parlé de ses différents rôles à l’EPFL, ainsi que d’un projet qui lui tient particulièrement à cœur: Tournesol, un système de recommandation au service des gens qui propose des contenus d’intérêt public.

Ses deux rôles à l’EPFL

À l’EPFL, Lê peut faire valoir sa polyvalence: il est employé à la fois en tant que chercheur et que vulgarisateur scientifique.

Chercheur: « D’abord, il y a mon côté chercheur. Je travaille sur des problématiques de sécurité des algorithmes. Dans notre quotidien nous employons des algorithmes très sophistiqués qui analysent énormément de données et s’y ajustent (l’algorithme qui donne les résultats d’une recherche Google par exemple). C'est dangereux parce que ces données peuvent avoir été fabriquées par des utilisateurs malveillants, comme par des organisations politiques ou des entreprises. On cherche donc à développer des algorithmes qui évitent d’apprendre de ces données malveillantes, qui ne soient pas manipulables ».

Et vulgarisateur scientifique: « Ensuite, il y a le côté médiateur (ou vulgarisateur) scientifique. Pour l’EPFL, je fais des vidéos de vulgarisation de l'informatique à différents niveaux. On a lancé la chaîne Étincelle, qui est vraiment pensée pour les gymnasiens ; l'idée, c'est d'y introduire aux grands concepts d'informatique tout en étant ludique. Ensuite, il y a des projets qui sont plus à un niveau un peu plus élevé: Wandida et Zettabytes. Quant à ma chaîne Youtube (science4all), ça reste un projet plus personnel où je peux aborder des sujets qui me tiennent à cœur ou qui soient d’actualité. »

Une passion pour la vulgarisation scientifique

Lê nous a expliqué que pour lui, rendre les sciences compréhensibles et accessibles au grand public relevait à la fois d’une passion personnelle et d’une importance pour la société.

Un domaine passionnant: « Je me suis lancé dans la vulgarisation d’abord parce que j'avais envie de communiquer ce que je faisais. Mais il y a aussi un autre aspect: aujourd’hui quand on est chercheur on est spécialisé dans un domaine précis, on ne reconstruit pas de zéro. La vulgarisation scientifique nous amène à nous ré-intéresser à certains acquis pour les expliquer aux gens: elle nous pousse à nous poser des questions plus fondamentales. Finalement, il y a un autre aspect très cool: en développant ma chaîne YouTube science4all, j’ai été amené à rencontrer d’autres vulgarisateurs qui sont devenus de très bons amis comme Monsieur Phi (un youtubeur de philosophie). Ces rencontres m’ont conduit à explorer de nouveaux domaines passionnants comme la biologie ou la philosophie. »

Et très important: « Je pense aussi qu’aujourd’hui certaines questions scientifiques sont centrales pour le futur de l'humanité. On peut penser aux questions environnementales (ou à la pandémie que nous venons de vivre – voir ses vidéos sur le sujet) ; mais mon domaine c'est surtout l'éthique des algorithmes qui sont aujourd’hui incroyablement influents. Les algorithmes de recommandation de Google ou de Facebook, par exemple, décident de l’information auxquelles les gens seront confrontés, et ce souvent de manière personnalisée. Il y a là est un énorme pouvoir d’influence et donc un danger de manipulation. C’est pourquoi je pense qu’il est important que tout le monde soit conscient de l’existence de ces algorithmes qui nous influencent en arrière-plan. »

Permettre un flux de l’information au service des gens

En plus de montrer l’existence de ces algorithmes qui contrôlent le flux de l’information pour chacun, Lê réfléchit à des modèles informatiques qui permettraient un acheminement du flux de l’information plus éthique qui soit au service des gens. C’est aussi pour ça qu’il a lancé Tournesol, un système collaboratif qui permet de recommander des vidéos d’intérêt public.

Flux de l’information

Cela désigne, dans cet article, les contenus d’internet auxquels les gens (toi par exemple) sont confrontés que ce soit sur des pages internet, sur les réseaux sociaux ou par de la publicité.
Il est bien entendu impossible d’accéder à l’entièreté de l’information mise en ligne sur internet, tu ne peux en consulter qu’une minuscule partie. Les quelques articles que tu vas lire, ou vidéos que tu vas regarder ne sont pas tirés au hasard. Ils te sont donnés selon un flux particulier de l’information (souvent selon le nombre de clics par exemple).

Aujourd’hui, un flux de l’information contrôlé par les entreprises: « Qu’est-ce qui fait qu'on reçoit un contenu plutôt qu’un autre ? Un des aspects importants, c'est bien sûr la conception initiale de l'algorithme. Avec Google ou Microsoft, un des gros objectifs est le profit financier de l’entreprise. La stratégie courante est de recommander des contenus addictifs pour pousser l’utilisateur à rester sur la plateforme. Ensuite, en plus du côté addictif, il y a aussi un intérêt de vous montrer un tel contenu plutôt qu’un autre. Si, par exemple, vous voyez une publicité de voiture, ce n’est pas un hasard, c'est une entreprise qui cherche à vous pousser à acheter leur produit. D’ailleurs, la manipulation aujourd’hui ce n’est pas seulement pousser à acheter, mais aussi pousser à penser certaines choses plutôt que d’autres (on peut penser à des opinions politiques par exemple). L’ampleur de ce genre de manipulations se vérifie aussi en chiffres: sur Facebook, par exemple, 6 milliards de faux comptes sont identifiés et retirés par an ; en Chine, pour prendre un second exemple, il est estimé que 20 millions de personnes par an sont payées pour produire de la désinformation ! »

Demain, un flux de l’information qui serait au service du public: « Dans ma recherche j’essaie de concevoir des alternatives au fonctionnement des algorithmes de recommandation actuel. C’est ainsi qu’est venue l’idée de Tournesol qui pourrait permettre un flux de l'information beaucoup plus efficace. (Tournesol fonctionne en récoltant l’avis, ou le jugement de différentes personnes concernant certaines vidéos: on peut dire, par exemple, qu’une telle vidéo était très importante puisqu’elle explique bien un contenu important). Parfois, je décris la plateforme Tournesol comme le microscope des jugements humains. Il y a beaucoup de révolutions dans l'histoire des sciences qui sont nées par la collecte de données. En collectant beaucoup de données concernant ce que les gens jugent préférable (des informations qu’ils recommanderaient), on peut petit à petit mieux comprendre à quoi un bon système de recommandation pourrait ressembler. Bien entendu, l’analyse de ces données soulève de nombreuses questions comme celle de savoir s’il faut privilégier l’avis d’un expert, ou de la manière dont on peut identifier des jugements de mauvaise foi. En tout cas, Tournesol est un premier pas vers des algorithmes robustes qui seraient bénéfiques pour toute l’humanité ; et c’est à travers ce genre de projets que j’espère adresser certains dangers des algorithmes d’aujourd’hui ! »

 

Texte: rédaction SimplyScience et Lê Nguyên Hoang.

Créé: 09.11.2021
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